Scientia, vol. 18, 1915Antoine MeilletLes Langues et les nationalitésLes Langues et les nationalités« Nous combattons pour l’humanisme contre le patriotisme », m’écrivait de sonposte de commandement dans une tranchée, un jour de ce rude hiver, un linguisteéminent qui commande une compagnie de territoriaux bretons sur le front.Il est un peu vain de chercher qui est responsable de la guerre actuelle : elle résultede la politique poursuivie depuis des siècles par les peuples de l’Europe, et chacuntrouvera toujours un biais pour en rejeter la responsabilité, proche ou lointaine, surl’ennemi. Mais c’est un fait qu’elle a été déclarée par l’Autriche à la Serbie, parl’Allemagne à la Russie et à la France, et, au moyen de l’invasion de la Belgique,imposée à l’Angleterre, dont le gouvernement très pacifiste se tenait éloigné duconflit. Et c’est un fait qu’elle est poursuivie par le bloc allemand, de l’empired’Allemagne et d’Autriche, contre des nations très diverses : Serbie, Russie,France, Belgique, Angleterre.Les seuls alliés des Allemands sont deux groupes qui vivent en opprimant d’autresnationalités : les Magyars qui ont réussi à se rendre seuls maîtres d’un pays où ilssont minorité en face des Serbo-Croates, des Roumains, des Ruthènes et desSlovaques, et les Turcs qui par la force dominent des Arabes, des Grecs, desArméniens, des Slaves (maintenant peu nombreux), des chrétiens de Syrie, desJuifs, et dont l’administration désordonnée tient en respect ses ...
Voir